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Gaëla Galasso

Le Vent du Nord

Dernière mise à jour : 28 oct. 2022


Il fait beau. Je décide de partir me balader le long de la mer du Nord. Pas sur la digue de Blankenberge, non… une balade le haut des falaises du Cap Blanc Nez. Ici, pas de lasagne de terrasses, mais des étendues de vert et de mer. Un endroit merveilleux.


Avant de démarrer, c’est balo, je me cogne l’orteil contre le coin d’un meuble. Le bout de l’ongle est retourné, c’est le bain de sang. Et ça fait mal.


A la réception de l’hôtel, on me dépanne avec un pansement Mickey très peu efficace pour protéger mes pattes du poids qu’elles allaient endurer toute la journée. Qu’à cela ne tienne, je trouverais bien une pharmacie « dans le coin ».


J’enfile mes chaussures de randonnée, un « chouia » trop juste. Je dois avoir des gênes des Amériques, car j’ai une pointure Européenne « et demie ». C’est balo. Qu’à cela ne tienne, j’adapterai ma marche de sorte que le talon reste bien à l’arrière de la chaussure.


J’ouvre Google Maps et tape dans la barre de recherche « pharmacie ». La ligne bleue se dessine et indique 8km. Ah oui… quand-même.


Equipée de jumelles, d’une casquette et de super chaussures de marche, l’Irréductible Gauloise se prépare à affronter le périple pour sauver son orteil.


Les paysages m’ont rapidement fait oublier la douleur. Les talons poussés vers l’arrière, j’inspire l’air de la mer et me baigne le visage dans les rayons de soleil. La vie est belle.


A mi-chemin, mes pieds sonnent l’alarme. Il est temps de se reposer. Je m’installe sur l’un des nombreux bunkers qui cassent les étendues de plaines. Ils font froid dans le dos. Je ne peux m’empêcher d’imaginer ces soldats débarquer sur les plages, le bruit de la guerre perturber le chant des mouettes, la peur des soldats sur le point de se faire assassiner. Leur âme était-elle déjà en paix avant même de se lancer dans les griffes de la mort ? Ont-ils confondu la lumière du jour à celle du tunnel de la délivrance ? Ces pensées me glacent.


Aujourd’hui, les mouettes sont au rendez-vous, elles s’installent en troupeau, le nez à contre-vent. Elles sont trop mignonnes. Parfois, il y en a une qui se balade. Ce petit corps qui se balance de gauche à droite m’amuse. Je me suis procuré des jumelles rien que pour elles. Ou plutôt rien que pour me nourrir de joie. Si c’était pour elles, elles auraient préféré le paquet de frites.


Je reprends la marche et arrive enfin à la pharmacie. Il est midi. Elle est fermée. Elle ne réouvre qu’à 14h. Il ne me reste plus qu’à « tuer le temps » au bar de la plage, c’est l’occasion de vivre au ralenti.


La météo est douce, les surfeurs sont encore au rendez-vous. Comment font-ils pour se tenir debout sur ces planches. Leur lâcher prise doit être accompagné d’un doux équilibre entre force mentale et force abdominale. Quelle sensation extraordinaire.


Mon apéro est servi. Le surfeur sort de l’eau. Dans sa combinaison noire, ses pieds nus sont parfaits. Il tient sa planche de surf d’une main et enlève l’eau saline de sa belle chevelure de l’autre. L’apéro est parfait.

Tout est parfait. Sauf mes pieds. Il est 14h, la pharmacie réouvre.


L’orteil bien emballé, je continue la marche. Le vent est toujours aussi doux, le soleil voyage vers l'ouest, les mouettes m’accompagnent. Les bunkers et châteaux forts sont ensevelis, la terre les a littéralement « mangés ». La mousse des vagues est même appétissante à travers les jumelles.


Après 15km de marche, je me pose enfin. J'entre dans le café "du coin" et m'installe à une table près du bar, la table des habitués. Un homme entre.



- Une « Raoul », s’il te plaît. Marcel s’est embourbé, il faut des câbles pour le sortir de là


La serveuse, pleine d’empathie pour Marcel, termine de sécher le verre avant de le remplir d’une pression.


- Il fait chaud dehors, on se baladerait bien à poil. Mais avec les migrants et tout ça… on ne sait pas sur qui on pourrait tomber.



L’homme à la bedaine et au sourire charmant rit de son humour déplacé.


- Nâân, mais je déconne. Il vaut mieux rigoler que de critiquer ses voisins.


La « Raoul » est servie, l’homme se rafraîchit le gosier et continue.



- Mais oui, les voisins ça construit de plus en plus, … ça fait du boucan.


Son sourire charmant fait place au regard vide et évasif. La deuxième gorgée de Raoul arrête son récit. Les habitués de coin acquiessent discrètement en me regardant du coin de l’œil. J’étais peut-être un de ses nouveaux voisins. Ces citadins en manque de nature. Ils n’ont pas mieux à faire que de venir déplacer leurs villes pour être plus proche de leurs randonnées ressourçantes.


Une vieille dame entre dans l’établissement. C’est Mamy, la maman de la tenancière. Elle vient s’assoir à côté de moi. Elle est touchante, presque autant que les mouettes.


- Il paraît que Marcel s'est embourbé.


Les habitués se regardent d’un air complice.


- Tu me sers une p’tite Raoul s’il te plaît ?


Puis, elle s’adresse à la dame avec son chien.


- Et alors Murielle, pas de Raoul aujourd’hui ?


Murielle avait ri à la blague des migrants, mais là son visage prenait un air sérieux.


- Non, mon fils vient ce soir… alors je prends un Perrier.


Un vent de mystère s’installa dans le local. Pourquoi Marcel s’était-il embourbé. Quel était le lien entre le Perrier et le fils. Et pourquoi ce regard vide et évasif lorsque le comique a parlé des voisins bruyants ? C’est Mamy qui allait me donner la clé de l’énigme.


- Vous avez de belles jumelles mademoiselle. C’est pour observer les oiseaux ? Vous savez qu’il y a le Lac aux Oiseaux près d’ici. Justement, là où Marcel s'est embourbé.


La tension montait dans le café. On entendait l’orchestre synchronisé des gorgées de Raouls. Tout était limpide. Le fils avait tué le nouveau voisin. A l’aide de Marcel, il a mis le cadavre dans le coffre de la voiture. Le complice avait pour mission de larguer le colis dans le Lac aux Oiseaux. L’opération était en cours et sur le point d’échouer si je pointais le bout de mon nez au lac. J’étais en danger.


- L’addition s’il vous plaît.


Il valait mieux que j’y aille. J’étais peut-être la prochaine victime. En route vers l’hôtel, je passe devant le Lac aux Oiseaux. J’y ai vu Marcel et la voiture embourbée. Mais pas de cadavre à l’horizon. La voie était libre pour une dernière balade au chant des oiseaux.


Il faudra revenir pour l’histoire d’Agatha Christie.




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